Se réconcilier avec son corps
Aimé, détesté, protégé ou délaissé, votre corps subit au fil des années, vos colères et vos petites guerres. Et si vous faisiez la paix ?
Chaque corps est différent. Si les marques engagées dans une pluri-beauté tendent à transmettre cette idée, difficile d’accepter que nos petites jambes ne feront jamais le même effet que les gambettes des mannequins qui minaudent dans les pages des magazines féminins. Valentine Deleuze pratique le yoga depuis plus de 10 ans. Il y a cinq ans, portée par son goût pour la discipline, elle en a fait son métier. « Avant de commencer le yoga, je n’accordais aucun intérêt à mon corps si ce n’est un regard critique. En débutant la discipline, j’ai appris à identifier ses spécificités. Les dimensions de nos membres, l’ossature et les mécanismes corporels sont si différents d’une personne à une autre que l’idée de normes physiques a rapidement été balayée. J’ai aussitôt tiré un trait sur le modèle que je m’imposais pour enfin prendre conscience de mon corps et développer ses atouts ».
Faire de son corps un acteur vivant
Sans forcément se mettre au yoga, l’idée de se réapproprier le corps par le geste est un moyen de recréer ce lien rompu entre l’esprit et son enveloppe naturelle. Lætitia Pichard a d’ailleurs développé depuis quelques années des ateliers chorégraphiques à destination d’adultes néophytes. « L’objectif est de mettre le corps en mouvement dans une dimension artistique pour plus le penser mais le laisser vivre ».
Nul besoin de savoir danser pour capter le mouvement, ici c’est le corps en liberté qui est prôné. A une époque où notre intellect est sans cesse sollicité, nos sociétés occidentales auraient-elles oublié la nécessaire place du corps dans notre équilibre tant recherché ?
Accepter qui on est avec joie
Et cela passe par la mise en avant de sa singularité. Car si chaque enveloppe corporelle est différente, c’est pour mieux révéler cette spécificité humaine fondée sur l’individualité. « Ce que vous êtes, vous l’êtes ! Acceptez-le avec tout votre être et pas seulement intellectuellement ». Une parole pertinente portée par le maître spirituel bouddhiste indien Swâmi Prajnâpad, qui définit la sagesse comme « une acceptation joyeuse de la réalité ».
Mais, difficile de ne pas chercher à moduler son corps quand, avec l’avènement des réseaux sociaux, les images de silhouettes « parfaites » pullulent sur la toile, se partagent et se commentent. Car le lien entre le développement des réseaux sociaux et le rapport que l’on entretient avec notre propre image est désormais fondé.
Monica Tango, docteur en psychologie et professeur associée à l’Université de Boston a établi une corrélation entre la multiplication des images de corps calibrés publiées sur les médias 2.0 et les troubles du comportement alimentaire : « il est maintenant bien établi que la présence des images de corps idéaux et standardisés dans les nouveaux médias sont associées à une augmentation de l’insatisfaction corporelle et aux comportements de contrôle du poids et de l’apparence physique ». Et si déconnectait pour renouer avec sa réalité ?
Se détacher de la norme
Au fil des décennies, les codes de la beauté et du corps normé ont évolué. Des codes que l’on cherche pourtant à adopter pour faire partie de la communauté et y être intégré. De quoi nous empêcher de tisser une harmonie directe avec notre corps. Il faut alors transformer, aller contre nature pour se soumettre aux canons imposés. Si hier, être trop maigre était l’antithèse d’un corps bien fait, aujourd’hui l’abondance d’images de femmes longilignes diffusées dans les médias, et notamment sur Internet, sont autant de modèles à suivre. Une dérive du culte de la minceur qui peut nous amener à développer une anorexie sociétale dictée par la tyrannie de l’image.
Car, face aux milliers d’images de stars, qui s’érigent tels des modèles dans les médias, la comparaison s’impose et l’admiration n’est jamais très loin. Le neurobiologiste Roger Habitiel s’est d’ailleurs penché sur la fascination qu’exercent sur nous les célébrités. Dans un article publié dans le magazine scientifique Nautilus, il explique en quoi notre passion pour les icônes et les stars de cinéma n’est pas rationnelle. Notre cerveau crée un monde imaginaire.
Or, « nous n’avons pas atteint un stade suffisamment avancé de l’évolution pour prendre conscience que ces êtres supérieurs n’existent pas ». Et sans une rencontre dans le monde réel, notre boussole interne s’affole. De quoi brouiller les pistes de notre rapport au corps.
Se projeter la bonne image
Entre ce que nous sommes et ce que nous pensons être, il y a un cap : celui de la distance qui nous manque cruellement quand il s’agit de jauger notre silhouette. Et si nous avons tant de mal à nous voir en photo, la réconciliation par l’image peut faire suite au rejet. C’est en tout cas le pari de Mathilde Priliane. Cette photographe et thérapeute a allié ses deux compétences pour s’essayer à la photothérapie.
A partir d’un support visuel (votre corps et celui d’autres femmes), elle soigne les maux de l’esprit. Parmi ses patients, les femmes qui n’acceptent pas leur corps ou s’en sont détachées sont nombreuses. La thérapie par l’image leur permet d’aller chercher les évènements et les traumatismes profondément enfouis dans le cerveau émotionnel pour les surmonter.
Sans pour autant consulter un photothérapeute, l’idée de se prendre en photo et de confronter son corps est une bonne piste pour dévoiler avec justesse ses craintes et ses rejets inconscients. N’hésitez pas, par ailleurs à confier à votre moitié ou à un proche bienveillant un appareil photo. Les yeux de l’amour sauront capter avec grâce et élégance l’harmonie qui se dégage de votre corps. Enfin, apposez des photos de votre silhouette à côté de clichés de celles dont vous pensez avoir la corpulence peut vous amener à prendre conscience de la réalité.
Là encore, vous pouvez estimer vos rondeurs à la hausse et constater que celle que vous pensiez être votre copié-collé est en réalité plus enrobée. Ou l’art de faire de son propre miroir une idée faussée.
Lâcher prise
Plus qu’une enveloppe, le corps est le reflet de notre intériorité. Délaissé puis cajolé, mis en avant ou caché, la relation que nous entretenons avec lui est fluctuante et varie selon notre état d’esprit. Et si les traumatismes, les bonheurs, les épreuves et le temps qui passe s’inscrivent sur nos courbes, notre volonté de chercher à les maîtriser révèle bien plus qu’une quête esthétique : « ce n’est pas une histoire de séduction ou d’aspiration à être jolie mais bien de contrôle que l’on cherche à avoir sur son corps, à défaut de l’avoir sur sa vie ou sur son avenir » souligne le psychiatre Rodolphe Stermineir.
Face à notre autocritique rarement positive, il est par ailleurs nécessaire de se nourrir du désir de l’autre pour redonner à ce corps la place qu’il mérite. Mesdames, prenez confiance et gagnez en liberté : votre corps est votre meilleur allié.